Vulgaires Machins - Compter les Corps

Indica - 2006

Vulgaires Machins - Compter les corps - 2006.

L’attente était énorme. A l’approche du 1er août, date du lancement du disque, un sentiment d’angoisse mêlé d’excitation. Et si le successeur d’Aimer le Mal n’était pas à la hauteur de son glorieux prédécesseur ? Et si les 4 années de break syndical que se sont octroyés les Vulgaires Machins les avaient atrophiés ? 10 ans après « la vie est belle », il est temps de « compter les corps »...

D’abord, la pochette, aux nuances bleuâtres sombres, un arbre décharné, un ciel triste à pleurer, une flaque de sang, un fusil... la fête donc. L’Amérique.

Ca commence tout doux, trop doux, avec une brève introduction, piano et voix de Marie-Eve. Forcément, on nous cache quelque chose. « J’y crois encore un peu... »

« Anéantir le Dogme », première véritable chanson du disque. Un doute par rapport à son intro, aux sonorités très néo-metal. Finalement le doute s’éteint dès que la rythmique se met en place, et surtout, quand Guillaume commence à déclamer, d’un phrasé sec et limpide, entêtant et enivrant, un texte rageur et plein de colère qui laisse peu de place aux illusions. Le ton est donné, « Anéantir le Dogme » caractérise bien le nouvel album des Vulgaires Machins.

A peine remis de cette première gifle, « Compter les Corps », la chanson, en assène une deuxième, encore plus violente. La voix de Guillaume n’a jamais été aussi douce, les chœurs de Marie-Eve accompagnent certainement un des meilleurs refrains du disque. Le tempo est souple, la mélodie accrocheuse, on nage en plein punk rock subtil et efficace (cette montée de basse batterie est incroyable). On ne se résigne pas, on refuse d’accepter de voir le monde se laisser aller...

Histoire de souffler un peu, « La télé me regarde », sur un punk rock plus traditionnel, raille avec humour et plus de légèreté notre légumineuse attitude devant le poste de télévision.

« Arrachez moi les yeux », musicalement, se rapproche de « fausse route » ou de « la chasse est ouverte », à savoir un hymne punk aux refrains imparables, au même titre que « Légalisez l’héroïne », dont le texte est une merveille de bon sens.

Exploration musicale, orientation vers des horizons différents, « Je m’appelle Guillaume » et ses couplets au piano-basse-batterie, peu courant dans le punk rock. Une fois de plus, la qualité musicale accompagne parfaitement le texte. Une chanson plus lente, qui risque de décontenancer les punks rockeurs. Et pourtant, « si tout le monde a raison chacun dans sa vision, et bien je m’en crisse... ».

Et au cas où l’auditeur n’ait pas encore compris que les Vulgaires Machins ne sont pas là pour lui servir la soupe qu’il avait commandée, « Dommage Collatéral » se chargera de lui rappeler que c’est la diversité qui crée l’émulation. Et que rester figé dans ses schémas, aussi efficaces soient-ils, est dangereux pour la création. Et pourquoi se priver d’oser quand on a une chanteuse aussi douée...

Toutefois, histoire que l’amateur de grosse distorsion ne crie pas au vol, « Puits sans fond », avec ses grosses guitares, sa batterie implacable, et ses textes satiriques, remet les pendules à l’heure. Le rock, c’est aussi l’énergie. Vraisemblablement, un des titres les plus efficaces de l’album.

« Les mains pleines de sang » enquillent sur un tempo effréné, crachant sur l’apathie globale face à une mondialisation et un libéralisme toujours plus injustes. Dans la même veine, quoiqu’un peu moins rapide, « être un comme » met en garde contre les clichés de notre « contre-culture » punk, sa mode, sa surconsommation, et rejoint par là l’esprit des Zabriskie Point, avec une approche plus mélodique.

« Dans le vide » fait la part belle à la voix de Marie-Eve, définitivement plus posée et plus profonde que sur les précédents albums, et reste la seule réelle ballade rock du disque. La montée guitare-basse-batterie milieu de la chanson m’évoque la légendaire montée du « Only in Dreams » de Weezer, pour situer le niveau. Le grand jeu.

Après ça, « Soleil » sonne comme le réveil des troupes, mais n’oublie pas les délicieuses mélodies pop, omniprésentes depuis le début du disque. Le refrain n’est par contre pas aussi accrocheur que « Mer de fumistes », qui se révèle être une bonne surprise de fin d’album. On se demande jusqu’où sont-ils allés chercher toutes ces subtilités.

La fin de l’album approche et « Jamais assez » sonne comme la chanson la plus radio-diffusable, la voix de Marie-Eve et Guillaume en parfaite harmonie, un rythme plus pop et des guitares moins abrasives.

« Lithium », ou l’intro de l’album, version longue, moins douce, mais toujours la même conclusion... « J’y crois encore un peu... »

Pour synthétiser, Vulgaires Machins offrent là un album d’une rare densité, un album qui ne s’écoute pas au détour d’une soirée, l’oreille vaguement distraite, mais plutôt au casque pour une première approche. D’abord dérouté par certains détails, j’ai vite compris que la démarche du groupe est d’emmener son auditeur vers des chemins qui jusque là n’étaient balisés que pour un certain public. En suivant cette voie, le groupe risque de voir un paquet de puristes tenter d’habituelles manœuvres de déstabilisation. Qu’importe, le jeu en vaut la chandelle au regard de la qualité du disque. Il faut maintenant souhaiter que le public, habituellement peu aventureux, accepte d’être considéré comme un adulte, et adhère à la démarche de réflexion et d’ouverture que proposent les Vulgaires Machins. Et puis, il n’est pas très étonnant que le punk rock des Vulgaires Machins s’oriente plus du côté des Pixies et de Green Day que de Exploited ou GBH. Franchement, qui s’en plaindra ??